Auteur : Shae Cooke
« Seigneur, aide-la », ai-je prié en entrant dans la chambre à coucher sombre. Elle était affaissée sur la berceuse, son visage pâle penché d’un côté. Ses lèvres blanches laissaient couler un peu de salive. Son corps autrefois agile et en forme semblait maintenant mince et fragile, encadré comme il l’était par cette chaise aux détails délicats. Je lui ai essuyé le visage et elle m’a souri. Je me suis assise sur la chaise placée près d’elle et je l’ai embrassé doucement en respirant la douce odeur de sa peau que je connaissais depuis mon enfance.
Vivre avec l’Alzheimer
Ce rapprochement physique est tout ce qu’il me reste de la relation que je connaissais autrefois avec ma mère. Peu après son diagnostic d’Alzheimer, elle a perdu la capacité de s’exprimer oralement. En moins de deux ans, la démence s’est installée, un brigand cruel qui lui a enlevé sa capacité d’apprendre, d’imaginer, de raisonner.
Nos rôles étaient renversés : c’était maintenant à mon tour de prendre soin d’elle. Je l’ai observé le souffle coupé, en étouffant le désir de pleurer. Je désirais tellement lui dire combien je l’aimais et la voir comprendre mes paroles. Mais il était trop tard.
Comme la métamorphose à reculons d’un papillon, elle a perdu ses ailes : sa capacité à voler, à préserver sa liberté. Naguère, elle remplissait la maison de rires, les échos de sa passion et du plaisir qu’elle prenait même aux choses les plus simples.
Maintenant, seuls de faibles cris interrompaient ce silence qui me brisait le cœur.
Ses mains blanches tenaient un mouchoir qui appartenait à mon père par le passé. Elle regardait ses doigts sans cligner des yeux tandis qu’ils suivaient la ligne du E qui s’y trouvait brodé. Ses larmes tombaient sur le mouchoir. Elle l’a embrassé en le tenant à elle. J’ai posé ma tête sur sa poitrine en fermant les yeux pendant quelques instants, le temps de me rappeler qui elle était.
Je me souviens
J’ai quatre ans et je me blesse le genou en tombant de mon tricycle. Je cours à la maison en pleurant et j’appelle ma mère. Elle se penche vers moi et regarde le petit bobo. Elle y place un baiser et me tiens dans ses bras. Je sens le parfum des lis des vallées sur sa peau.
Un autre souvenir
C’est le jour de mes noces. Nous nous trouvons assises sur le lit de ma chambre. Elle m’offre un cadeau emballé dans un mouchoir fraîchement repassé. J’y trouve le collier de perles qu’elle a porté le jour de ses noces. Elle me les pend au cou en levant mes cheveux pour attacher le fermoir compliqué. Elle me tient doucement le visage de ses deux mains en me chuchotant : « Prend bien soin de tes souvenirs : tiens-les tout près de ton cœur pour ne jamais les perdre. ». Nous pleurons.
Un adieu
Un rayon de soleil emplit la pièce, me ramenant au présent. Ou l’était-ce? Je ressentais la douceur des mains de ma mère sous mon menton. Surprise, j’ai levé le regard pour constater que ses yeux se révélaient brillants et espiègles sous un voile de larmes. Cela se passait vraiment! Nous partagions nos souvenirs. Nos yeux se sont rencontrés et nous avons ri, joyeuses de nous retrouver l’une dans la présence de l’autre.
« Je t’aime, maman », ai-je dit. Elle m’a serré la main en souriant, pour ensuite la relâcher. Elle a levé sa tête blanche un peu pour former des mots silencieux de ses lèvres. J’ai fredonné l’air de son hymne préféré en la tenant dans mes bras. J’ai cru entendre un petit cri de bébé.
J’ai essuyé une larme qui tombait en priant : « Seigneur, merci de nous avoir donné la possibilité de partager notre amour une dernière fois. » Je n’oublierai jamais ce don d’un moment ultime que Dieu venait de nous accorder.
« Seigneur, aide-la », ai-je prié en entrant dans la chambre à coucher sombre. Elle était affaissée sur la berceuse, son visage pâle penché d’un côté. Ses lèvres blanches laissaient couler un peu de salive. Son corps autrefois agile et en forme semblait maintenant mince et fragile, encadré comme il l’était par cette chaise aux détails délicats. Je lui ai essuyé le visage et elle m’a souri. Je me suis assise sur la chaise placée près d’elle et je l’ai embrassé doucement en respirant la douce odeur de sa peau que je connaissais depuis mon enfance.
Vivre avec l’Alzheimer
Ce rapprochement physique est tout ce qu’il me reste de la relation que je connaissais autrefois avec ma mère. Peu après son diagnostic d’Alzheimer, elle a perdu la capacité de s’exprimer oralement. En moins de deux ans, la démence s’est installée, un brigand cruel qui lui a enlevé sa capacité d’apprendre, d’imaginer, de raisonner.
Nos rôles étaient renversés : c’était maintenant à mon tour de prendre soin d’elle. Je l’ai observé le souffle coupé, en étouffant le désir de pleurer. Je désirais tellement lui dire combien je l’aimais et la voir comprendre mes paroles. Mais il était trop tard.
Comme la métamorphose à reculons d’un papillon, elle a perdu ses ailes : sa capacité à voler, à préserver sa liberté. Naguère, elle remplissait la maison de rires, les échos de sa passion et du plaisir qu’elle prenait même aux choses les plus simples.
Maintenant, seuls de faibles cris interrompaient ce silence qui me brisait le cœur.
Ses mains blanches tenaient un mouchoir qui appartenait à mon père par le passé. Elle regardait ses doigts sans cligner des yeux tandis qu’ils suivaient la ligne du E qui s’y trouvait brodé. Ses larmes tombaient sur le mouchoir. Elle l’a embrassé en le tenant à elle. J’ai posé ma tête sur sa poitrine en fermant les yeux pendant quelques instants, le temps de me rappeler qui elle était.
Je me souviens
J’ai quatre ans et je me blesse le genou en tombant de mon tricycle. Je cours à la maison en pleurant et j’appelle ma mère. Elle se penche vers moi et regarde le petit bobo. Elle y place un baiser et me tiens dans ses bras. Je sens le parfum des lis des vallées sur sa peau.
Un autre souvenir
C’est le jour de mes noces. Nous nous trouvons assises sur le lit de ma chambre. Elle m’offre un cadeau emballé dans un mouchoir fraîchement repassé. J’y trouve le collier de perles qu’elle a porté le jour de ses noces. Elle me les pend au cou en levant mes cheveux pour attacher le fermoir compliqué. Elle me tient doucement le visage de ses deux mains en me chuchotant : « Prend bien soin de tes souvenirs : tiens-les tout près de ton cœur pour ne jamais les perdre. ». Nous pleurons.
Un adieu
Un rayon de soleil emplit la pièce, me ramenant au présent. Ou l’était-ce? Je ressentais la douceur des mains de ma mère sous mon menton. Surprise, j’ai levé le regard pour constater que ses yeux se révélaient brillants et espiègles sous un voile de larmes. Cela se passait vraiment! Nous partagions nos souvenirs. Nos yeux se sont rencontrés et nous avons ri, joyeuses de nous retrouver l’une dans la présence de l’autre.
« Je t’aime, maman », ai-je dit. Elle m’a serré la main en souriant, pour ensuite la relâcher. Elle a levé sa tête blanche un peu pour former des mots silencieux de ses lèvres. J’ai fredonné l’air de son hymne préféré en la tenant dans mes bras. J’ai cru entendre un petit cri de bébé.
J’ai essuyé une larme qui tombait en priant : « Seigneur, merci de nous avoir donné la possibilité de partager notre amour une dernière fois. » Je n’oublierai jamais ce don d’un moment ultime que Dieu venait de nous accorder.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire