mercredi 28 juillet 2010

A NE PAS MANQUER : Quelle leçon !






La jeune fille consulte rapidement sa montre, il est dix-huit heures. Plus qu’une heure, avant d’être en week-end, même si, quand on travaille le samedi, c’est un petit week-end!

Assise à sa caisse pour enregistrer les achats des clients, Laurence passe les articles d’un geste rapide. Elle garde le sourire, même si la fatigue de la semaine se fait ressentir.

Un couple se présente à sa caisse avec deux adolescents. Ils sortent leurs achats du caddie et les posent brusquement.

Laurence glisse un coup d’œil rapide vers eux et malgré la mauvaise humeur évidente du quatuor, elle lance un courageux bonjour.Elle a pour réponse un silence et des regards ironiques de la part des plus jeunes. Un peu agacée, la caissière les ignore et passe les articles.
Soudain, une bouteille en verre lui échappe des mains malencontreusement, roule et cogne fortement le bas de la caisse, sans se casser pour autant.
- Je suis désolée, dit-elle en rougissant.

- Vous pouvez l’être, lance le père d’un ton hargneux. Si cette bouteille s’était cassée, je ne l’aurais pas payée, croyez-moi!
- Bien sûr que non ! Vous savez, cela arrive parfois, tente d’expliquer calmement la jeune fille.
- Ne cherchez pas d’excuses, mademoiselle ! Quand on est nulle, on est nulle, déclare le monsieur méchamment, alors que ses deux enfants se mettent à rire.

Seule la mère paraît embarrassée par l’attitude de son mari. Elle le regarde plutôt contrariée, mais cela ne semble rien y faire.

- Cinquante-neuf euros soixante, dit Laurence, en s’efforçant de garder son calme.
- Cela vous pose un problème, si je vous règle avec la carte bleue…

Il s’arrête et fixe ses yeux sur le badge de la jeune fille accroché à sa veste.
- Laurence, c’est ça… Laurence la nulle !

Elle le regarde droit dans les yeux et sent cette boule de colère monter dans sa gorge.
- Aucun problème, Monsieur, répond-elle froidement en prenant la carte.
- Et ne la faites pas tomber elle aussi, ajoute-t-il fièrement, en lançant un coup d’œil amusé à ses fils qui rient de plus belle.

Laurence ferme les yeux un instant, elle est tentée de répondre, d’invectiver à son tour ces gens qui se croient tout permis… Elle fulmine intérieurement tandis que l’opération bancaire s’effectue. Cela lui paraît si long. Elle prend le ticket de caisse, la carte bleue et la pose sur la tablette devant elle.

- Très bien, voilà, elle a réussi! Je dois vous applaudir peut-être, demande-t-il en rangeant sa carte. Elle ne peut s’empêcher de sourire devant tant de culot et apparemment cela ne plaît pas à monsieur.

- Elle se moque de moi, lance-t-il en se tournant vers sa femme, alors que le ton de sa voix ne présage rien de bon.
- Mais n’as-tu pas bientôt fini, laisse la tranquille, dit celle ci en tirant son mari.
- Au revoir, dit Laurence.

- C’est ça, au revoir, s’écrie le père en s’éloignant, non mais elle se prend pour qui celle-là?
La jeune femme les regarde s’éloigner, un peu abasourdie par ce qui vient de se passer. La cliente suivante, une vieille dame au regard compatissant semble s’inquiéter pour elle.
- Vous vous sentez bien mademoiselle? Laurence tressaille. Ses mains tremblent de colère contenue.

- Tout va bien, merci! dit-elle en poursuivant son travail.
- Vous savez, il y a vraiment de drôles de gens dans ce monde, chuchote la cliente.
- Ça c’est sûr, répond Laurence en souriant.

Depuis qu’elle travaille dans ce magasin, elle a déjà vécu des situations de ce genre. Mais c’est tellement difficile de prendre sur soi, de devoir se contenir, ne rien répondre, car le client est roi. Et puis il y a autre chose. En tant que chrétienne, Laurence a bien conscience qu’elle doit éviter les affrontements, les querelles. Cela ne sert à rien, sinon la mettre dans une situation difficile.

La jeune caissière termine son travail et rentre chez elle. Son mari Fabien l’attend à la maison et elle s’empresse de lui raconter sa mésaventure.
- Si tu avais vu cet homme, dit-elle en repensant à ce visage fier.
La soirée s’écoule paisiblement.

Le lendemain matin, le jeune couple se prépare pour aller à l’Église. Ils arrivent un peu en avance, comme à leur habitude. La salle se remplit petit à petit et soudain quatre personnes entrent. Le pasteur s’approche pour les saluer. Laurence se tourne un instant et constate, "Oh, surprise!" qu’il s’agit du couple de la veille avec leurs enfants. Elle donne un coup de coude à son mari et lui glisse à l’oreille.

- C’est le couple dont je t’ai parlé, ceux qui sont passés à ma caisse!
- Ce n’est pas vrai?
- Je t’assure!
Ils se regardent, interloqués. C’est vrai qu’il y a toutes sortes de gens dans ce monde, comme l’a si bien dit la vieille dame d’hier, mais de là à penser qu’il s’agit de chrétiens!

À la fin du culte, alors que Laurence et Fabien s’approchent de la sortie, le pasteur les interpelle.
- Venez que je vous présente une famille chrétienne de passage…

Laurence, qui redoutait ce moment, lève les yeux vers eux et… les regards qu’elle croise sont bien penauds, les visages décomposés par l’embarras. Elle pourrait profiter de cette royale occasion, et se venger de leur comportement de la veille, mais apparemment, le fait de se retrouver face à elle semble une leçon suffisante. Le regard honteux du père et son silence en dit long. Fabien leur serre la main comme si de rien était, tandis que le couple attend, figé, la réaction de la jeune femme.

- Nous nous sommes déjà vu hier, à ma caisse explique-t-elle au pasteur, vous êtes en vacances?
- Oui, pour une semaine, répond la mère en s’efforçant de sourire alors que le père de famille est blanc comme un linge.

- Profitez bien, dit Laurence en souriant et que Dieu vous bénisse!
Ils acquiescent en la regardant s’éloigner. Les deux adolescents n’ont pas pipé mot.
-J’espère que cela leur servira de leçon autant qu’à moi, dit la jeune fille en prenant la main de Fabien dans la sienne.
- Pourquoi dis-tu ça?

- Imagine que je me sois laissée aller à la colère hier, j’aurais été comme eux tout à l’heure. Si ça m’arrive une prochaine fois, je sais quelle est la bonne attitude à adopter!
- Ils auraient pu s’excuser quand même, dit Fabien.

- Ce n’est pas grave, ils étaient vraiment mal tu sais, surtout le père. La leçon a été rude. J’aurai pu tout raconter au pasteur devant lui… Je n’aurais pas voulu être à sa place et pourtant cela aurait pu se produire, si j’avais mal réagi moi aussi.

- Tu te rends compte, il avait pensé à tout ce matin, à tout sauf qu’il allait tomber sur toi à l’Église aujourd’hui, poursuit Fabien en ouvrant la portière de la voiture. Toi, Laurence, la caissière qu’il a insultée la veille. Si à chaque fois qu’on se comportait mal avec une personne, on se retrouvait nez à nez avec elle à l’Église, c’est sûr, on ferait plus attention!

- C’est une vraie leçon de Dieu à méditer, constate Laurence pensive, alors que la voiture s’éloigne du parking de l’Église.